ENTRE DÉSIR ET PLAISIR

« Le désir est l’essence-même de l’homme, c’est-à-dire l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer dans son être. » Baruch Spinoza, Éthique (1677).

 

« Toute idée de plaisir est inséparable du désir d’en jouir ; » Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile (1762).

 

Désir et plaisir. À l’évocation de ces deux mots, souvent le corps frémit de sensualité, se pâme, se délecte, savoure, jouit de tous ses sens. Il vit, tout simplement, comme le bébé à la naissance qui découvre le monde et se réjouit ! Les poils se hérissent sur la peau, qui vibre et frissonne, que ce soit à l’idée du plaisir qui se désire, ou l’instant même du plaisir vécu, quelle qu’en soit sa nature (visuelle, auditive, gustative, olfactive, tactile – et sexuelle, qui englobe tous les sens puisque le désir naît dans le sexe). Le désir comme élan de vie et source de la vie nous propulse vers l’avant et nous meut dans le tourbillon émotionnel de nos aspirations. Il créé la motivation qui nous emporte au loin, au-delà de nos capacités connues. Le dépassement est possible, l’exploration souhaitée et accueillie avec enthousiasme.

 

Mais le désir peut aussi être source de souffrance, lorsqu’il devient manque et cherche à combler un vide en soi. Il nous fait courir, nous essouffle même, perdu dans sa quête chimérique sans fin. Sur le chemin de la conscience qui s’éveille, il nous invite alors à plonger dans l’abîme de nos ténèbres intérieures, creuset de nos transformations alchimiques. Ce corps PLOMBé de souffrances et voilé d’ignorance autant que d’illusions, connaît-il l’OR du plaisir ?

 

OR-gasme. Le cORps tout entier est OR-gasmique, lorsqu’il se respecte avec amour et s’ouvre à la joie. L’OR-gasme sublime alors l’orgaste qui se cantonne quant à lui à la décharge physiologique, sans plaisir émotionnel. Le cORps aime jouir et désire jouir, lorsqu’il sait exprimer son consentement (ou son non-consentement). Se respecter profondément aide à annihiler les querelles intestines (j’emploie volontairement l’expression dans son sens premier, littéral, et non selon l’usage courant habituel), à nous pacifier intérieurement, émotionnellement et mentalement, pour jouir plus librement de la vie et de tous nos sens. C’est au cœur des émotions que l’énergie se fraye un passage et contribue au maintien de notre vitalité (ou à son déséquilibre). Plaisir d’être vivant, de sentir et de ressentir, avec simplicité, au-delà de nos souffrances et de ce qui en nous, souvent inconsciemment, s’interdit de jouir.

 

La différence majeure entre désir et plaisir, n’est-elle pas la présence ou la non-présence à ce qui est vécu, là maintenant ? Le plaisir est présence. Jouir de la vie ! C’est instantané et divin, nimbé de mystères sacrés lorsque l’être est à l’écoute, attentif et sans attente, simplement là, dans une nudité sans fard.  Beauté du dépouillement.

 

Désirer est une autre histoire, selon la qualité de nos dispositions du moment. Si nous nous réjouissons de notre désir, alors nous sommes présents à notre plaisir du désir et le vivons totalement et sereinement. Le plaisir du désir peut même se suffire à lui-même.

 

« …Chaque désir m’a plus enrichi que la possession toujours fausse de l’objet même de mon désir. »

André Gide, Les nourritures terrestres (1897)

 

L’attente générée par l’idée que notre désir nous laisse imaginer peut amener une distorsion lorsque l’objet du désir en vient à se concrétiser. Et c’est là que toute la sagesse tantrique vient nous élever, nous grandir, en nous reliant sans cesse à notre présence pure et instantanée, à ce que nous vivons ici et maintenant, en lâchant les projections.

 

Si notre désir engendre la souffrance, parce-que nous désirons le plaisir que nous n’avons pas, alors nous nous étiolons lamentablement en imaginant ou en croyant que la vie est meilleure ailleurs, dans un espace-temps hypothétique, et nous ne sommes jamais satisfaits, nous nous plaignons.

 

Avoir et être. Avoir ou être. Et si c’était là la clé de compréhension entre désir et plaisir ? Être. Désirer être plutôt que désirer avoir. Et suivre le flow de la vie avec ses vagues paisibles ou sauvages, ses murmures aériens ou grondements assourdissants, ses appétences avides ou ses dégoûts immondes, ses caresses tendres ou ses coups de rafales brutales. Plaisir de la justesse. Désir de la justesse. Entre désir et plaisir. Le centre. Le Soi. Le positionnement. Profondément. Car tout renoncement est aussi un désir.

 

Sur quoi pouvons-nous réellement avoir prise ? Dans le sens : que pouvons-nous vraiment transformer et où pouvons-nous créer ? Ce que nous désirons avoir se situe en-dehors de nous-même et nous échappera potentiellement toujours. Ce que nous désirons être en revanche, nous appartient en propre, et rien qu’à nous. Nous sommes le centre. Nous sommes le cœur. Nous sommes le sexe. Nous sommes. Tout part de là. Délaissons les objets hors de portée pour devenir des êtres-sujets acteurs de notre vie et conscients de la direction que nous souhaitons donner à notre barque, depuis l’espace intime du corps-cœur-sexe-esprit, depuis un autre temps que celui qui égrène mécaniquement les jours, les heures, les minutes et les secondes. Dimension sacrée.

 

Être, c’est garder une continuité, poursuivre sans interruption le tissage de notre lignée et de notre vie – tout en intégrant les accrocs, les nœuds de nos névroses pour les dépasser – dans cette incarnation présente. Avoir, et vouloir avoir, c’est créer des conflits intérieurs (avec soi-même) ou extérieurs (avec les autres), se mettre en opposition par un jeu de pouvoir égotique, en prenant le risque de l’impasse. Être et aspirer à être, dans ce désir qui nous porte à vivre selon qui nous sommes vraiment au plus profond de notre être, ouvre depuis l’espace du cœur une possibilité de réalisation de soi heureuse : n’est-ce pas cela que l’on appelle empuissancement ? Cette capacité à retrouver avec sagesse – dans le sens de connaissance fine de soi qui nous permet l’adaptation, la souplesse, la fluidité et la résilience – notre souveraineté d’être à partir de notre Tout corps-cœur-sexe-esprit ?

 

Laissons notre désir rencontrer celui de l’autre. Accueillons la possible non-satisfaction comme la manifestation d’une orientation qui s’exprime au-delà du carcan de nos pensées, nous montrant une autre voie que celle que nous avions recherchée. Invitation à explorer et découvrir ailleurs, différemment…ou pas. Et peut-être se laisser surprendre. Plaisir de l’inattendu ?

 

Retrouver, explorer, découvrir, se relier au chemin du désir et du plaisir en soi résonne comme une invitation à s’ouvrir à son propre espace vital et à le préserver.

 

AMOUR, CONSCIENCE, VIBRATION.

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